Tranquillisons nos rapports à la culture

Depuis ma visite touristique, ou presque, de juillet 2021, en Haute-Vienne, j’ai remarqué la présence d’un lieu culturel porteur et intrigant. Il s’agit du Château de Rochechouart.

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Cour intérieure du Château avec l’œuvre de Tony Cragg, Column

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En novembre de l’an passé, son sujet fut, à nouveau, discuté avec un Rochechouartais.

A l’écoute, le rapport ne sembla pas des plus tranquilles, un reproche dispendieux à la coquille, appelée vide, à la forteresse et à son problématique contenu fut développé.

__Le Château est visible depuis la route qui mène à Rochechouart en partant de Vayres, soit à environ 8km.

Ce site remarquable bénéficie d’un jardin, d’une entrée depuis une place un peu trop minérale, j’ajouterai que pour des questions de confort de visite, de l’ombre et des bancs à l’ombre devant le château seraient les bienvenus!

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Monumentale entrée par le porche

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Sa porte impressionnante, intimidante peut participer à une certaine appréhension de visite, accrue par l’absence de document extérieur à la consultation, d’informations de visite voire tout simplement d’un kakémono ou d’un pointeau.

On aimerait un visage, un être humain, un passeur d’état à un autre, pour nous accueillir.

Une fois entrée, une place entourée, encadrée de murs, presque fortifiée vous laisse libre de vous promener, les allées de gauche sous alcôves seraient idéales pour l’agrément de visite, au regard, notamment, d’une offre commerçante de boissons, de petite restauration. Ce qui attirerait une vie supplémentaire, diversifiée au lieu.

// Plein phare sur une œuvre d’une figure majeure de la sculpture contemporaine, l’artiste britannique Tony Cragg et Column, 2001. Une sculpture monumentale en grès.

Cette colonne tourbillonnante fait écho à la colonnade torsadée de la façade du Château.

Vous vous dirigez là où se trouvent des petits groupes, pas trop d’indications là non plus, comment, dès lors, s’approprier ce bel espace ?

Nous occupons, pour la plupart, les emplacements à l’ombre par cette chaude journée d’été, les coursives s’humanisent donc rapidement.

-Une fois entrée, l’accueil est agréable, l’aide à la visite se fait munie d’un plan. L’implantation d’une petite bibliothèque (très bonne idée) et de produits dérivés à la vente distillent une envie de flâner, de feuilleter, de se poser pour la consultation.

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Géométrie de Bois ensoleillée

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Pourquoi ne pas installer l’accès à une fonds documentaire empruntable ?

_Ajouter une autre pratique culturelle à celle-ci, le livre comme pendant naturel à la création, la lecture publique comme axe prioritaire d’une politique culturelle ?

Créer du lien entre la médiathèque, qui se trouve excentrée, et le musée, pour faire se rejoindre une offre diversifiée, faire se rencontrer la 1ère marche à l’accès culturel (bibliothèque) et les suivantes.

La question de la démocratie culturelle pourrait être posée, la reconnaissance de toutes les cultures. Que la transdisciplinarité, la diversité prennent tous leur sens et participent à la curiosité du visiteur.

A noter, les tarifs sont très raisonnables, d’autant que la gratuité concerne toute une typologie de publics (précaires et étudiants), même si nous savons que ce n’est pas le prix qui demeure le frein à la visite mais bien l’absence de pédagogie d’une culture qui peut sembler se subir ou se mériter.

Faciliter le rapport suppose de créer les conditions d’une tranquillisation.

N’ayez pas d’inquiétude, vous êtes ici les bienvenus, ici.

__La salle qui suit l’accueil est, étonnement, découpée, son architecture invite à la création d’idées bien plus pertinentes que la présence d’un écran. Je le consulte rapidement puis m’en détourne.

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Géométrie de Pierre et Fer entre ombre et lumière

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Je suis attirée par cette belle porte vitrée, il faut dire que le site jouit d’une restauration magnifique digne des plus beaux décors intérieurs.

Regarder dehors, chercher le dehors, poser la question du seuil, de la frontière derrière cette transparence, pousser la porte pour sortir respirer un instant…La verdure me manque.

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Sommes-nous des extra terrestres ?

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Malgré la chaleur, mon envie de sortir me conduit à l’extérieur, les hirondelles sont très nombreuses à avoir élu domicile, ici, le jeu des escaliers engendre l’idée du dédale, du labyrinthe, bref, on se prêterait bien à une expérience.

Le peu de fleurissement voire tout simplement de végétalisation accroît la surimpression minérale, dommage, alors même que la forêt est non loin et que cet endroit pourrait disposer de son propre jardin, mellifère, abris à différentes espèces, potager ancien, on peut se rêver à tout imaginer pour donner de la couleur et honorer la vie!

De plus, les questions environnementales sont plus que d’actualité, le développement durable, la sobriété culturelle, on peut aussi espérer parvenir à décarboner la culture.

On se laisse aller à l’amusement de l’autoportrait au miroir, nous sommes sûrement nombreux à l’avoir fait, mais voilà…

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Miroir en ciel, Château en bleu, août 2022

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Ce contenant et contenu sont fortement disputés sur TripAdvisor. On peut noter que le Château, puisqu’il en est ainsi, est un joyau et que son rôle, son utilisation, ses entrailles, Musée d’Art contemporain, ne font pas l’unanimité.

Certains allant même jusqu’à préciser qu’ils se sentent privés de leur histoire locale, que le patrimoine bâti est bien supérieur à ce qu’il abrite.

L’allure de l’ensemble, le caractère grandiose vient décevoir ce qu’il protège. L’Art contemporain ne remporte pas tous les suffrages.

Il serait bon de préciser que de nombreux conservateurs, historiens de l’art, médias, journalistes et personnalités politiques ont, en raison de leurs rapports de force et querelles avec la création contemporaine, fortement, créé les conditions défavorables à son « acceptation » par les publics.

De plus, les quelques scandales venus émailler le monde des arts, l’envolée du marché de l’art, peuvent conduire à un rejet pur et simple, à un désaveu, mettant en danger l’émergence, l’importance de la création pour l’émancipation, parvenant presque à endommager notre rapport à l’art et la culture.

Attention donc à un arrêt de la prise de risques, à une vision trop conservatrice des programmations culturelles.

La « haute culture » et la « culture populaire », pour schématiser de façon binaire, se toiseraient sans se plaire, sans se parler.

Quel étrange rapport au sensible et quelle cruelle discrimination pour les publics qui aimeraient naviguer, librement, d’un côté et de l’autre sans avoir à choisir un camp!

EXPOSITION

Expérience de visite

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Galerie d’Hercule, Ouvre vidéo de Prinz Gholam, La ligne de Rochechouart de Richard Long

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Lors de ma visite, il y a, à peine quelques jours, je me suis laissée embarquer pour un beau voyage, temporel, philosophique et poétique.

Transportée par l’architecture et sereine quant aux œuvres, je dois reconnaître qu’il est fondamental de se faire sa propre opinion, d’expérimenter son rapport au lieu, aux espaces sans se soucier de ce qui, communément, se dit, car c’est un rapport intime au sensible qui va se jouer.

Une affaire bien sérieuse donc.

Ecoutons notre corps

Le fait de marcher amène à penser, inhaler, regarder de près, ressentir, saisir les impressions de pesanteur, apprécier ou subir les dimensions, suivre les lettres, tenter de lire, reculer pour mieux sauter, dans le temps…

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Epreuve de Pierre, six exploits et six travaux.

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Cette galerie d’Hercule, salle E, peine à nous laisser tranquille, notre esprit se balade, notre corps est en éveil et les sensations sont nombreuses.

On tend l’oreille, se sont produits de nombreux évènements, ici, nous voguons au rythme des voix et des pas.

La Pierre au sol, à la fois, nous oblige et trace un sillon, un courant, un flux. Nous pouvons, un temps, descendre, naviguer et nous en rapprocher, humer la Pierre dont cette salle célèbre la richesse et la rigueur.

Elle est écrite, inscrite, marquée, possède des taches, stigmates, des reliefs, l’on peut se plaire à décrypter une fable, un conte minéral, le temps semble saisi dans la roche. La pierre comme mémoire du monde.

Levons le pieds du contrôle

Nos époques et mondes se frottent, sans mal, nous allons partir, effectuer un voyage d’escaliers, de petites pierres, de masques, de rites et de sculptures.

Art primitif, culture matérielle, peuple autochtone, portraits d’ancêtres, emblématiques ?

L’humilité et la force de la Pierre tiennent en la création d’une langue.

Populaire, érudite, savante, elle mêle de nombreux savoir-faire.

La Pierre, l’âge de Pierre, la roche, l’outils, artéfacts, peinture rupestre et toutes ses traversées historiques et sociales.

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Prinz Gholam

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Masque, objet animé et élément du vivant

« Prinz Gholam a entamé un travail autour du masque, en 2020, objet de métamorphose, élément de protection et de transgression ».

La pratique multidisciplinaire de l’artiste nous est narrée avec des pièces en pierre, petites sculptures aux allures poétiques et à l’humanité touchante, puis, le dessin, immense, coloré, doux et vif entre en scène.

Naïf et inquiétant, il se livre dans de très grandes salles, les détails captent notre attention, nous choisissons la vue d’ensemble puis un personnage; touchés par lui ou par elle.

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Extrait d’une œuvre de Prinz Gholam

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Rituel à nouveau, scènes de carnaval, théâtre de la vie, Comedia dell’arte, théâtre Nô, le masque de la mort, on a en tête les divinités, le masque mortuaire, rite funéraire, masque funéraire, on considère l’Egypte et l’art funéraire, on s’approche de la littérature, des mots et des visages, des émotions et du crâne, on tangue au milieu de ce terrible va et vient.

Le masque vient transcender le corps, plus chatoyant, plus ardent, plus vivant, à même de comporter des détails, des traces, des signes, des marques à l’inverse des corps moulés dans des costumes uniformes et monochromes.

Le corporel comme moi social et le masque, avertisseur visuel, comme celui qui a la capacité d’émouvoir.

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La poursuite de la visite de cette triple exposition, se poursuit avec les photographies de Raoul Hausmann, située, en couloirs longilignes, figures du rite du passage.

C’est un ensemble de 28 tirages, conservé dans les collections du musée, au sein du très riche fonds Raoul Hausmann, récemment restaurés, qu’il vous est possible de découvrir.

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Raoul Hausmann

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Exposition proposée dans le cadre de la manifestation « Impertinente 2022« .

.Adresse du site internet Impertinente 2022

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Helen Mirra, marche mystique

Nous habitons, désormais, le Château, au bout d’un couloir tunnel, d’où s’échappent des voix d’enfants captivés par un atelier, nous tombons, nez à nez, avec des tableaux de tissus, des signes, lignes, encéphalogrammes, vie, empreinte, courant alternatif ? Flux électrique…Nous faisons connaissance avec Helen Mirra.

Le Château offre sa 1ère exposition personnelle, dans une institution française, à cette artiste américaine.

Une pièce sonore et sombre, que nous n’osions pas emprunter sans la présence rassurante du guide, se présente à nous.

Une œuvre radicale nous a été jusqu’alors proposée. Nous voilà, désormais, face à une petite porte, pièce sombre, comble au sol jonché de foin, c’est la tour de la chapelle.

Nous marchons sur ces bottes de foin, sa fraicheur, son odeur nous déstabilise, nos pas sont hésitants, notre corps s’enfonce avec l’envie ferme de s’asseoir, de s’ allonger et de nous laisser aller au son singulier et aigu, haute fréquence, lente, rapide, battement, intensité acoustique, ondes sonores, onde sinusoïdale, plafond cathédral, pales de moulin…

Je vous convie vivement à effectuer le trajet jusque là, à suivre l’itinéraire et à vous confier, un peu, beaucoup, à l’espace en mouvement que représente Straw Fold.

Voyage méditatif

Le lin comme support, le tissu, le feutre, la couverture d’hôpital militaire, nous nous approchons, parfois, de Joseph Beuys, de temps anciens où l’homme et l’animal pour l’un et l’homme et la nature pour l’autre ne faisaient qu’un.

La présence précieuse des pierres se lit à même le sol, laissant peu de place pour les publics. Le sol, ici, est un plancher en bois, une terre d’accueil intéressante pour ces pièces en lin.

Le dialogue est, cependant, rapidement rompu car les visiteurs entrent en nombre et la gestion de flux s’impose.

Puis, c’est le ciel, en portions, sous une voute en bois, charpente, ossements du Château, qui s’étire.

Les triangles, dimensions, géométrie des bâtisseurs, topologie s’adressent aux idées de volume, d’ampleur et de mesure. Avec Helen Mirra, les mathématiques sont maitresses des lieux.

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Helen Mirra, portions de ciel

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Une petite salle en contre-bas, dont la visite nous est conseillée par un médiateur culturel, titille notre curiosité.

Il s’agit d’une rencontre avec une autre œuvre de Richard Long; Le cercle du coucou, réalisé en 1987. Un mandala, vortex, le cercle infini qui ne cesse de se mouvoir, la teinte marron n’est pas sans évoquer la boue, fruit de la terre et de l’eau.

Nous aimerions nous asseoir, nous embarquer dans ce tourbillon dynamique, cette sphère fonctionne tel un diagramme, Mandala, sanskrit et ésotérisme.

La terre comme une aire rituelle, une vision cosmique et une invitation à la méditation. Cette pratique artistique se fait spirituelle, elle cristallise un mouvement de vagues et d’éclaboussures.

La concentration autour du centre nourrit la contemplation, je reçois ce noyau spirituel comme une lecture de la réconciliation et de l’intégrité.

Œuvre de Richard Long en détail

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Vous pouvez consulter le site du Musée ici

// Une œuvre, présente dans la cour du Château, imaginée par l’artiste italien, Guiseppe Penone, Souffle végétal, en 1985 est une commande passée pour l’ouverture du musée.

Ces trois expositions s’achèvent pour Helen Mirra et Raoul Hausmann le 18 septembre. Il vous reste donc quelques beaux jours devant vous pour vous lancer dans cette intrigante expérience.

Pour Prinz Gholam, Mon cœur est un luth suspendu, l’exposition s’achève à la fin de l’année, soit le 15 décembre, vous pourrez donc voir et revoir, faire et refaire la visite!

// A noter, avec Vayres à Soi, nous allons proposer un petit programme de visites et sorties culturelles, avec co-voiturage depuis Vayres, pour associer à notre démarche écologique, toutes les questions sociétales, patrimoniales et culturelles qui se présentent à nous à l’échelle locale!

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